Cette semaine, c’était visite familiale chez le dentiste, youpie ! Dire que j’y allais toute guillerette montrer les belles dents de ma progéniture, bien lavées tous les jours et garanties 100% sans caries, serait un tantinet exagéré.
Car je me doutais tout à fait de l’issue de la visite …
Et comme de juste, la sentence est tombée : « Il faut absolument qu’elle arrête de sucer son pouce, donnez-lui une sucette c’est mieux ». Et BIM! Deux ans et demi de réassurance affective autonome anéantie en une seule phrase.
Côté dentisterie
Evidemment, il en a de bons des arguments le dentiste ! À coup de vocabulaire bucco-dentaire, on a vite compris qu’il valait mieux obtempérer.
Parce que la succion persistante maintient de mauvais réflexes de déglutition chez l’enfant. Au lieu de venir se positionner dans le haut de la bouche, contre le palais, elle reste en position basse, contre les dents. Or, la langue est censée adopter cette position haute pour exercer une poussée latérale responsable d’élargir la mâchoire supérieure. La succion empêcherait donc le développement de la mâchoire supérieure.
Qui dit mâchoire supérieure trop étroite, dit projection des dents vers l’avant. Et donc dents de lapin. « Si tu continues à sucer ton pouce, tu vas avoir des dents de lapin » grondent les dentistes.
En tout cas, ça fait bien l’affaire de certains … J’ai nommé, les orthodontistes ! Eh oui, car après, il faudra bien redresser tout ça à coup d’appareils, plaquettes et autres orthèses dentaires. La puissance de l’artillerie choisie étant toute proportionnelle à celle des dégâts occasionnés par Monsieur Pouce.
Côté psychomotricité
Personnellement, j’ai toujours trouvé merveilleux que ma fille suce son pouce. Elle le suce depuis toute petite, y compris in-utero. J’ai un cliché échographique qui le prouve !
Quel élan puissant et magnifique que celui de la succion du pouce chez le nouveau-né !
Alors qu’il est encore incapable de coordonner quelque mouvement que ce soit, le voilà qui trouve précisément le chemin entre son doigt (qu’il ne sait même pas encore être un doigt et encore moins le sien) et sa bouche (idem).
Alors qu’il est entièrement dépendant de ses parents, petit être fragile et sans défense qui ne sait absolument pas qu’il a/est un corps unique et différencié, le voici qui met déjà en place des stratégies pour comprendre son corps et se réassurer par rapport aux sensations fortes qu’il découvre.
En suçotant son pouce, il éprouve des sensations à l’intérieur (dans la bouche) et à l’extérieur (sur la peau du doigt) qui le renseignent sur son corps et son fonctionnement. Il prépare ses futures coordinations oeil-main-bouche pour lier le regard et la préhension. Il sème le terreau de son autonomie affective en trouvant des moyens de se calmer et de s’apaiser par lui-même, sans intervention extérieure. Il repère les émotions fortes, apprend à les reconnaitre et à les réguler. Il se centre sur lui-même, son propre corps, ses ressentis.
Et tout ceci est magnifiquement orchestré par les réflexes physiologiques qui gouvernent le corps du bébé à sa naissance pour, peu à peu disparaître, au profit d’un contrôle volontaire. La succion du pouce est donc un phénomène tout à fait naturel. Même les chimpanzés sucent leur pouce ?
Alors, que faire ?
Dans un premier instant de panique à l’idée de voir ma magnifique petite se transformer en dinolapin à quenottes débordantes, je vous avoue avoir tenté de la raisonner pour qu’elle arrête la succion. Profitant du sermon dentaire, plusieurs « tu as entendu ce que le dentiste a dit ? il faut arrêter de sucer le pouce pour avoir des belles dents à lui montrer la prochaine fois » sont sortis de ma propre bouche.
Résultat : elle a encore plus sucé son pouce. Et elle a redoublé d’attention pour son doudou qui la suit partout.
Ma décision est donc la suivante : je lui fiche la paix avec son pouce. Comme pour toutes les étapes de son développement, elle passera le cap quand elle sera prête.
Et jusqu’à présent j’ai pu lui faire confiance pour être prête à se séparer de moi sans angoisse, être prête à arrêter l’allaitement, à dormir seule dans sa chambre, être prête à s’asseoir et à marcher, à monter et descendre les escaliers, être prête à parler, …
Remettons donc l’arrêt de la succion du pouce (ou de la sucette, same problem different way) à sa place de simple étape à franchir dans le développement global de l’enfant. Et n’en faisons pas tout un caisson !
Bien entendu, comme toutes les autres étapes du développement, il y a lieu de s’inquiéter tout de même quand cette étape tarde à arriver. En fonction des auteurs, on considère qu’il faut agir entre 5 et 7 ans pour aider un enfant à se défaire de son pouce. Ce sont uniquement ces cas de succion tardive persistante qui peuvent être considérés comme alarmant, voire pathologique si la santé bucco-dentaire en est impactée.